An (energy) tale of one city: Twistringen

En Allemagne, l’Atome à contre-courant de l’Histoire

Depuis bientôt deux ans, je vis dans la deuxième plus grande ville d’Allemagne, Hambourg. Et ce que l’on peut dire, c’est que je suis complètement tombé amoureux de cette ville, et de l’Allemagne en général. Jusqu’alors, ce pays se résumait essentiellement pour moi en ces trois points : une langue horrible (nein nein nein nein), le combo saucisse-bière, et une série de clichés sur ses habitants, tous plus négatifs les uns que les autres. Mais ce que j’ai découvert là-bas, ce sont des personnes chaleureuses et magnifiques, une culture extrêmement riche et, bien que difficile je dois l’avouer, une langue pleine de subtilités. Alors j’ai commencé à étudier ce pays, son histoire, ce qui explique que l’Allemagne est ce qu’elle est aujourd’hui. J’ai appris énormément de choses sur leurs coutumes et leurs habitudes, jusqu’à même les adopter aujourd’hui ! Et oui, même à Paris j’attends que le petit bonhomme passe au vert pour traverser.

Et un des éléments que j’ai également étudié concerne mon domaine d’activité, les énergies. Aujourd’hui, on compare énormément la France et l’Allemagne sur cet éternel débat : nucléaire versus renouvelable. L’Allemagne est ainsi régulièrement le sujet de critiques venant des Français, et certains experts de chez nous n’hésitent pas à utiliser ce pays comme l’exemple à ne surtout pas suivre, afin de défendre le modèle nucléaire bleu-blanc-rouge. Mon point, dans cet article, ne sera pas de donner mon avis sur le sujet, mais plutôt de vous raconter une histoire de l’Allemagne, et vous montrer en quoi son histoire explique aujourd’hui pourquoi elle a décidé de prendre une route complètement différente de celle des Frenchies.

Illustration de deux visions que tout oppose (Dessin de Martin Vidberg. Source : https://www.lemonde.fr/blog/vidberg/2011/05/30/lallemagne-renonce-au-nucleaire/ ).

L’après guerre

Nous sommes quelque part en Allemagne, en 1948. Un jeune Allemand, nous allons l’appeler Hans (cliché!!), vit seul dans son petit appartement de la banlieue de Hanovre. Il est 20h, nous sommes en décembre, et Hans est obligé de porter plusieurs couches de vêtement pour avoir chaud, ainsi que d’allumer une bougie. En effet, à cette époque, de nombreuses coupures électriques avaient lieu, et le chauffage était régulièrement interdit. La faute à la guerre et aux bombardements, qui avaient détruit énormément de centrales de production, de lignes électriques et de mines. Dans cette période troublée de l’après-guerre, la priorité est alors de relancer l’économie (comme aujourd’hui avec le coronavirus), et cela passe par le charbon. En Allemagne, en quelques années, les mines inondées reprirent leur fonctionnement normal. La reprise était en marche! C’est ainsi dans ce contexte qu’est créé la CECA, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (il porte bien son nom!), qui sera la première pierre de l’Union Européenne que nous connaissons aujourd’hui.

Cependant cette domination du charbon ne dura pas. Avec l’explosion de l’utilisation du pétrole, le charbon va connaître un déclin lent et inexorable. Dans les années 1950, des dizaines de mines fermeront, faute de pouvoir vendre leur charbon.

L’âge d’or du nucléaire

Dix ans plus tard, en 1966, quelque part autour du village d’Obergheim. Ce patelin se trouve près de la frontière française, dans le Bade-Wurtemberg. Là-bas, il n’y a pas grand-chose. Quelques milliers d’habitants. Quelques centaines de vaches. Et une centrale nucléaire. Et pas n’importe laquelle, la première d’Allemagne. En effet, dans les années 60, l’Allemagne se mit à construire des centrales à uranium. Beaucoup. Et cela va en s’accélérant. En 1973, avec le premier choc pétrolier, les prix de l’or noir grimpe en flèche. Alors, dans le but d’accéder à une plus grande indépendance énergétique, le chancelier de l’époque, Helmut Schmidt, augmenta les investissements dans le nucléaire.

Mais cela ne va pas sans difficulté. En effet, dans la bourgade d’Obergheim, cette nouvelle centrale ne fait pas que des heureux. Il est vrai que la ville s’enrichit. Des emplois sont créés. Mais un mouvement se forme. Des manifestations et des sit-in dans des chantiers sont régulièrement organisés un peu partout en Allemagne, et ont du succès, à l’image de l’occupation de la centrale de Brokdorf qui rassembla pas moins de 50 000 personnes. Cette opposition se développa alors énormément à la fin des années 1970, du fait de deux évènements. Tout d’abord l’accident, en 1979, de la centrale de Three Mile Island aux Etats-Unis, qui provoqua une prise de conscience des populations sur les dangers d’un accident nucléaire en Europe.

Photo de Klaus Rose prise lors de la manifestation dans la centrale de Brokdorf (Source :https://www.deutschlandfunkkultur.de/polizei-und-protest-in-brokdorf-die-demo-die-die-politische.976.de.html?dram:article_id=391496 ).

Mais en Allemagne, ce sera surtout la crise des euro-missiles qui amorça le changement de mentalité. Dans les années 80, l’Allemagne est en effet le terrain de jeu entre l’Ouest américain et l’Est soviétique. De part et d’autres du rideau de fer sont installés des missiles longue-portée. Et là, la peur vient. Que se passerait-t-il si un des camps se mettait à tirer et visait une des centrales ? Pas de bonnes choses, a priori. De ce fait le mouvement écolo-pacifiste prit un poids politique non négligeable sur l’échiquier allemand. Mais en face, la classe politique fait bloc. Il faudra donc attendre 1986 et un autre évènement pour entamer réellement la fin du nucléaire.

Tchernobyl, le crépuscule du nucléaire

26 Juillet 1986, il est 1h23. Pendant que tout le monde dort tranquillement à Pripyat, petite ville d’Ukraine, un drame se joue à quelques kilomètres de là et qui aura d’énormes conséquences. En effet, le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl vient d’entrer en fusion, suivi d’une énorme explosion. Sur place, il faudra plusieurs jours et le courage héroïque des pompiers et des « liquidateurs » pour mettre un terme à l’incendie (si le sujet vous intéresse je vous conseille absolument la série Chernobyl d’HBO, ainsi que le recueil de témoignages « La Supplication » de Svetlana Alexievitch). Et pendant ce temps, un nuage radioactif se répandait dans toute l’Europe.

En Allemagne, à ce moment là, c’est une journée comme les autres, à un détail près. Dans toutes les centrales du pays, le niveau de radioactivité passe au rouge. On s’inquiète. Y a-t-il eu un accident, des fuites ? Pourtant, aucun problème n’est découvert. Ce n’est que quelques jours plus tard que l’info tombe. Un accident nucléaire a eu lieu en URSS. Cet évènement provoque un choc dans la population allemande, qui se ligue alors contre le nucléaire. Et les conséquences ne se font pas tarder. Dix mois plus tard, le parti Vert (littéralement) explose (oups, mal choisi comme mot) ses scores aux législatives, et permet une augmentation des investissements dans les énergies renouvelables, principalement l’éolien. Et en 2001, l’alliance du SPD (la gauche) et des Verts vote l’arrêt progressif des réacteurs nucléaires pour 2021. Avec l’arrivée du gouvernement Merkel, pro-nucléaire, un retour sur cette décision fut essayé, mais un second accident, à l’autre bout du monde cette fois-ci, mit définitivement un terme aux rêves d’Atome en Allemagne.

Stop au nucléaire, place aux renouvelables

Au pays du Soleil Levant (ou Japon, en moins poétique), on se souviendra longtemps de ce 11 Mars 2011. Un tsunami, provoqué par un tremblement de terre au large d’Honshu, déferla sur les côtes japonaises, où se trouvait la centrale de Fukushima. Les cœurs des réacteurs fondent (ce pourrait presque être une vision romantique), c’est l’accident nucléaire.

En Allemagne, il s’agit de la goutte de trop. Le nucléaire c’est terminé ! Dans les jours qui suivirent, 7 centrales furent mises à l’arrêt, et seulement quelques mois après l’accident Angela Merkel lança la fermeture de l’ensemble du parc nucléaire allemand, ainsi que la Transition Énergétique, connue en outre-Rhin sous le concept d’Energiewende. Cette politique est portée par une opinion très encline à se débarrasser de l’Atome : en 2015, 92 % des personnes interrogées soutenaient cette transition. Et dès 2016, l’éolien est devenu la principale source d’électricité du pays. Ainsi s’acheva définitivement l’histoire du nucléaire allemand.

Bilan

Aujourd’hui, en 2020, les dernières centrales nucléaires vivent leurs derniers instants. Nous pouvons applaudir le mouvement, ou bien le critiquer, mais en tout cas nous ne pouvons pas nier que cette sortie du nucléaire est un cas unique dans le monde. Et même si le pays a rencontré ces derniers temps des difficultés, avec le recours nécessaire au charbon et au gaz naturel pour assurer la sécurité énergétique, l’industrie éolienne allemande est aujourd’hui à la pointe technologique en la matière, reconnue partout dans le monde.

Ainsi, nous avons pu voir à quel point c’est essentiellement les différences historiques et culturelles qui expliquent aujourd’hui le fossé entre la France, défenseur de l’Atome, et l’Allemagne, défenseur des énergies vertes. La menace nucléaire pendant la Guerre froide a grandement impacté l’esprit des allemands, qui virent ainsi dans l’Uranium une menace plutôt qu’une formidable source d’énergie. Et il ne faut pas non plus mettre de côté le poids du parti Grüne (les Verts) sur l’échiquier allemand, qui a poussé le pays pour sortir du nucléaire, soutenu par une population dont les valeurs pacifistes sont plus fortes que nulle part ailleurs (ah poids de l’Histoire, quand tu nous tiens…).

Alors, quelque soit votre avis sur le sujet, j’espère que vous avez apprécié ce voyage dans l’Allemagne des 60 dernières années, et que vous comprenez mieux maintenant pourquoi l’Allemagne est aujourd’hui si fermement opposé au nucléaire. D’ailleurs je suis curieux de connaître vos avis sur ce pays (culturellement, ne parlons plus d’énergie si possible!), et de pouvoir échanger avec vous sur le sujet dans les commentaires. Et en attendant de vous revoir, je vous dis Bis Bald* !

*Je vous laisse aller chercher la traduction sur Internet 😉 .

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